Jeremy Rifkin, universitaire américain très lu (traduit dans 35 langues), a publié La troisième révolution industrielle (Les liens qui libèrent, LLL, février 2012), où il expose l’évolution en cours de notre monde depuis 150 ans. Pour lui, les facteurs majeurs du changement sont liés aux nouvelles technologies de communication, et à leur impact sur la prise de décision collective, thèmes proches des champs de réflexion d’ADA 13.
– La première révolution industrielle, au 19e siècle, a inventé son énergie grâce au charbon et à la machine à vapeur ; elle produit la métallurgie, mécanise les filatures, tandis que l’imprimerie et les réseaux ferrés élargissent considérablement le champ des échanges et de la communication.
– La deuxième, au milieu du 20e siècle, a généralisé l’usage des hydrocarbures et de leurs dérivés ; elle a produit les automobiles, les matières synthétiques ; les réseaux, aériens et autoroutiers ont explosé ; les télécommunications ont accéléré les échanges à l’échelle du monde.
– La troisième, objet de l’ouvrage, se construit maintenant, sur la prise de conscience de l’épuisement des énergies fossiles, et de la nécessité de trouver de nouvelles sources, renouvelables et mieux réparties , mais aussi sur l’objectif d’ajuster l’offre de biens et services aux besoins réels, tout en respectant la nature. Et les nouvelles techniques de communication connectent des réseaux mondiaux auxquels chacun peut avoir accès, pour recevoir ou transmettre instantanément des informations de toute nature sur presque tout.
J. Rifkin part du constat que ces changements modifient non seulement l’échelle, mais la nature et le sens de l’exercice du pouvoir. Nous sommes, dit-il, en train de passer d’un exercice vertical de l’autorité, descendante et s’imposant aux citoyens, à un mode de relation horizontal, en réseaux, où les décisions se prennent dans le dialogue et la négociation, avec des partenaires, dans un processus de concertation, et la recherche d’un consensus. Les citoyens peuvent agir sur des objectifs jusqu’ici hors de portée.
Cet accès élargi et accéléré à la prise de décisions publiques a un impact sur notre façon de vivre ensemble. La mobilisation de compétences à l’échelle mondiale rend le fonctionnement de nos institutions plus souple, et recentre les décisions sur le contenu, plutôt que sur l’autorité de celui qui les prend ; « ce que tu fais de ton savoir prime sur le fait que tu le détiens ». La synergie des idées devient plus importante, pour Rifkin, que le pouvoir que donne l’accumulation de l’argent…
Il est clair, pour lui, que les milieux informels, « para-institutionnels », associatif par exemple, sont appelés à jouer un rôle déterminant comme leviers d’opinion. Leur poids est amplifié par l’accès rapide et généralisé aux sources d’information, à condition que les acteurs prennent conscience de ces nouvelles potentialités.
Joël de Rosnay, dans « Surfer la vie » (LLL, mai 2012), reprend certaines de ces approches, sur la transition verticale/horizontale de l’exercice du pouvoir (concertation), et sur les mutations énergétiques ; ainsi que sur le rôle des sciences sociales dans une organisation fondée sur les flux plus que sur les structures.
Ces nouveaux leviers de pouvoir font l’objet de tests : des sites proposent des outils
pour exprimer des opinions « mondiales » sur des thèmes d’intérêt général. Et chacun des « branchés » peut être sollicité pour apporter son soutien à une cause ou une autre. Mais on voit pointer le risque de manipulations et celui d’introduire des systèmes de contrôle qui refermeront les ouvertures qui ont justifié l’espoir d’échanges plus intenses.
Ces idées rejoignent certaines de nos réflexions fondatrices. Ce livre est une incitation
à réfléchir sur ce que nous faisons de ce que nous savons/pouvons faire mais aussi sur notre façon de rechercher le consensus dans la prise de décisions publiques ainsi que sur l’évolution de nos pratiques associatives, l’impact de nos échanges, l’évaluation de nos actions et de nos partenariats.
Edgar Boutilié