Le jardin, intégré dans le projet de C. de Portzamparc d’aménagement du quartier des Grands Moulins, est devenu officiellement, le 1er octobre 2009, jardin de l’Abbé Pierre. En réalité, il s’agit de trois parcelles qui se déroulent depuis la rue M.A.-Lagroua-Weill-Hallé jusqu’à la Seine en contrebas. L’agencement en pente douce est harmonieux, souligné par la passerelle qui permet une traversée rapide aux piétons et cyclistes. L’eau de pluie, récupérée et canalisée, ruisselle et gazouille joyeusement à travers des rigoles et le long du « mur des pluies ». L’aménagement est soigné, la végétation est diversifiée et pas trop policée. C’est un espace de liberté mais pédagogique car on ne peut pas y ignorer le nom des plantations qu’on rencontre.

L’idée de dédier ce jardin à l’Abbé Pierre est inspirée par la vocation « solidaire » traditionnelle du 13e arrondissement, attestée par l’importance des infrastructures d’hébergement pour les publics en difficulté (sans abri, migrants) et par la forte proportion de logements sociaux qu’on y trouve. L’implantation des jardins sur ce qui a été l’emplacement des campements de sans-abri, au voisinage du chantier de la BnF, illustre une volonté d’accueil pour tous, en hommage à l’attention portée par l’Abbé à chaque humain.

En cette rentrée d’automne, ce lieu est agréable, convivial, attirant les voisins riverains, habitants, salariés ou étudiants. Chacun doit s’y sentir chez lui et, en particulier, l’idée de prévoir un espace pour adolescents est sympathique. On pense qu’est en train de naître un lien entre ancien et nouveau 13e, entre est et ouest, entre nouveaux venus de Paris Rive Gauche et habitants anciennement installés dans les environs de la rue de Patay.

Néanmoins quelques questions se posent :
– Selon quelle procédure ces jardins ont-ils été prévus ? Les partenaires concernés (représentants des habitants, des entreprises, de l’Université) ont-ils été consultés ? Qu’en est-il pour ce qui va suivre ?
– La liberté voulue implique la nécessité d’éviter les débordements sur la rue et entre jardin public et jardin sauvage. Tout cela a un coût financier à prendre en compte.
– Comment se fera l’évolution ? Le développement de la végétation donnera un aspect probablement différent de ce qu’on voit aujourd’hui. La gestion des fréquentations permettra-t-elle d’entretenir efficacement les infrastructures (« usure » des pelouses tant prisées par les jeunes, renouvellement des équipements…) ?
– Dans la pratique, quelques mises au point semblent nécessaires : exiguïté du jardin des écoles par rapport aux besoins potentiels des résidents, installation de bancs pour les mères de famille dans l’espace enfants, mise en sécurité de l’accès à l’eau pour les petits….
– L’espace « humide » donne à rêver à des cultures tropicales. Mais n’est-ce pas entretenir un « nid à moustiques » comme l’ont expérimenté quelques visiteurs de la première heure ?
– On a parlé de quartier « populaire » : cela a été vrai naguère, mais est-ce toujours le cas ? Il y a bien une volonté d’assurer la mixité sociale, avec l’installation de logements sociaux. B. Delanoë nous a dit que le 13e était prêt à accueillir des logements « très » sociaux. Est-ce le cas ici ? Le parrainage des jardins qui fait référence à l’esprit solidaire doit être relayé par des réalisations concrètes pour n’être pas seulement symbolique. Et pourquoi pas dans le jardin, un rappel des actions solidaires réalisées dans le quartier (expo photo par exemple) ?

Ce n’est pas un « jardin extraordinaire » mais c’est une belle réalisation, un lieu de vie qui ne demande qu’à devenir un maillon actif dans l’échange souhaité entre les différents quartiers et les différents types d’usagers. Il faut lui en donner les moyens.

Brigitte Einhorn